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*** Lumière sur une artiste ***

Marie Bagi vous présente,

Fanny Stehlin 

"Artiste peintre"

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            Aujourd’hui je vous présente l’artiste Fanny Stehlin qui m’a chaleureusement accueillie à l’endroit où elle donne des cours de peinture à des enfants en situation de handicap, à Lausanne. En ce lieu, elle me montre certains de ses travaux et qui sont représentatifs de son parcours de vie artistique intitulé Féminalité. Elle me raconte d’ailleurs leur conception respective ainsi que sa vocation artistique.

C’est à Moutier, dans le Jura, que Fanny voit le jour. Dès son plus jeune âge, elle est attirée par la création. En effet, elle me dit qu’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours créé car elle a toujours senti ce besoin qu’elle qualifie alors de « brut » ; son moyen d’expression le plus profond. Cela lui vient de son père, me dit-elle, qui a toujours dessiner, surtout ses propres émotions – aujourd’hui il réalise d’étranges personnages sur différentes essences de bois issues notamment de son verger. Dès le départ, Fanny a été soutenue par ses parents : une chance inouïe ainsi qu’une motivation, ajoute-t-elle.

Dans son travail artistique, Fanny a ses petits rituels. Au début d’une œuvre, elle travaille d’après de nombreuses esquisses à l’encre de chine afin d’apprivoiser le mouvement avant de se lancer sur la toile. Elle insère ensuite dans le tableau des éléments inspirés de structures architecturales ou végétales. Elle ajoute que de voir des éléments qui vont sans cesse se répéter est une source inépuisable d’inspiration. Exprimer la douleur et la colère, elle le fait au travers de la peinture qui devient alors une sorte d’état de conscience modifiée puisqu’elle se voue entièrement lorsqu’elle crée. Il n’est pas facile de mettre des mots sur la création de manière générale et la difficulté à répondre aux questions du public, lorsque cela devient très spécifique, est alors palpable. Pour souligner ceci, elle me raconte une expérience qu’elle a vécue il y a quelque temps, après avoir assisté à l’agonie d’une femme qui avait glissé du bord de sa fenêtre du quatrième étage. Elle a ressenti un tel choc que sa douleur s’est matérialisée dans une longue série de toiles qui lui a permis d’exorciser cet événement traumatique. Au fil des croquis, elle imagine un regard triste qui deviendra ensuite de plus en plus apaisé. Quoi de plus opportun que l’aquarelle pour matérialiser les larmes sur ce visage inconnu ?

Dans ses œuvres, Fanny rajoute certains éléments qui sont des morceaux de vie et qui viennent structurer la toile car, me dit-elle, les souvenirs nous changent et sont affublés d’un autre statut lorsqu’ils sont mis sur cette dernière. Le fait de les intégrer à une œuvre leur confère un nouveau statut à ces derniers. De plus, elle aime jouer avec la matière tels que le sable, la terre ou encore le tissu. Elle me montre ainsi l’une de ses toiles où nous voyons la dentelle dévoiler une femme : un aspect caché et une ouverture s’entremêlent alors. Avec l’ajout de photographies abîmées, elle crée un lien avec l’homme qui est lui-même abîmé dans cette toile. L’envie de recomposer cette dernière a été vive chez Fanny et me dit qu’elle ne voudrait faire que cela. Peut-être la complétera-t-elle plus tard ?

Après des études à l’Académie de Meudon à Neuchâtel et de graphisme à l’école d’Arts Visuels de Berne, Fanny s’installe à Vevey ; elle est alors âgée de vingt-et-un ans. Son intérêt pour l’art est grand et l’envie d’explorer des techniques est criant. Elle étudie le crâne humain pour une question d’esthétique qu’elle va retransmettre dans ses œuvres. Un.e artiste a souvent beaucoup de peine à laisser partir ses œuvres car vendre une œuvre c’est comme céder une partie de soi, de son histoire. Récemment, elle a participé à une initiative culturelle à Vevey où elle a laissé quelques petites toiles dans la « boîte à tableaux » située près de la Bottolière – une ancienne cabine téléphonique, et a constaté qu’elles n’y sont pas restées longtemps. Tiraillée entre satisfaction et déception, elle se réjouit tout de même de cela même si elle reste nostalgique à chaque départ d’œuvre. L’envie de « faire du grand » l’anime en cette période difficile pour une exposition dans un vaste espace qui avait été annulée en raison du confinement – elle avait d’ailleurs été censurée à cause de l’un de ses nus. A quand l’ouverture et l’abandon des tabous dans ce monde puritain ? Elle a donc peint sur de longs tissus pour cacher un peu la nudité de son personnage, comme Camille Claudel (1864-1943) avant elle lorsqu’elle a dû recouvrir les nus de ses personnages de La Valse (1883) sous ordre de l’Etat ; des personnages nus réalisés par une femme n’était pas admis en ces temps et apparemment, nous en sommes encore là… Elle attend de voir si cela les fera changer d’avis. Fanny a souvent été censurée dans son travail. Lorsque le regard d’autrui se pose sur ses toiles composées de corps féminins, elle remarque que celui-ci est froid et accusateur. Elle ajoute, il n’y a pas besoin de mots et qu’il y a vingt-ans c’était pire. La mise à nu fait partie de son processus artistique. Elle souhaiterait pouvoir réaliser une exposition en lien avec cette mise à nu devant le public. Même si elle n’aime pas peindre en présence d’autrui, manque de confiance en elle, me dit-elle, elle me dit que cela serait une belle expérience. Anxieuse par rapport au résultat, elle va parfois recouvrir ses toiles et recommencer si elle n’est pas satisfaite, devant le public, cela ne serait pas possible. Récupérer des tableaux qu’elle a chiné fait aussi partie du « recommencer » artistique afin de rendre la toile vivante, à nouveau. Une colère qui s’exprime aussi par l’art concernant le fait qu’elle n’est pas mère et à cause de la pression sociétale. Elle a choisi de se concentrer totalement sur l’art.

Le confinement a été très bénéfique pour elle car la création était fructueuse. Sur son grand balcon, elle pouvait peindre en plein air en profitant de la lumière naturelle. En hiver, elle ajoute, elle privilégie le dessin car la lumière n’est pas bonne pour la réalisation de ses peintures.

Fanny me raconte alors son expérience d’exposition. En général, elles ont toutes été bonnes, comme celle à Saint-Barthélemy dans l’ancien restaurant des parents de Stanilas Wawrinka (*1985) où elle avait exposé ses Femmes fleurs. La mauvaise expérience fut celle avec une galerie qui lui a demandé un prix exorbitant pour le loyer ainsi que septante pourcent sur les ventes prétextant qu’elle bénéficiait d’un bon carnet d’adresse alors qu’il n’en était rien. Quand est-ce que certaines galeries arrêteront de se moquer des artistes et de leur travail ? C’est révoltant et j’espère que cela change rapidement, lui dis-je.

Grande admiratrice du travail d’Edvard Munch (1863-1944) et de l’ombre qui planait au-dessus de lui, elle a l’impression que cela l’a suivie durant tout son parcours mais aussi influencée par Frida Kahlo (1907-1954) car, elle aussi, elle réalise de autoportraits. Comme sous l’effet de l’hypnose, Fanny crée un autre visage qui vient compléter le sien comme un cri qui lui sort de la tête ; ce qu’elle n’a pas pu exprimer avec les mots. La douleur mais aussi la joie, font partie intégrante de son travail et va essayer d’exulter ses peines qui la tourmentent ou qui l’ont tourmentée. La vie nous met à l’épreuve. Fanny sait que l’art est sa béquille et qu’elle réussit à exprimer ses douleurs, ses doutes ainsi que ses peurs mais aussi sa joie au travers de celui-ci. Par sa passion de transmettre son savoir artistique, Fanny aime voir ses élèves se réaliser au travers d’une œuvre ; une satisfaction énorme vient alors remplir son cœur. Une femme de cœur dont la vie vient s’entremêler à son œuvre pour nous laisser entrevoir le don de soi qu’elle laisse en leur conception. Soucieuse de sa création, Fanny nous laisse découvrir son travail en nous laissant pénétrer au cœur même de ses œuvres qui sont, sans conteste, le miroir de son histoire de vie.

 

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Auteure : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie

 

 

Publié le 7 juin 2021

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