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*** Lumière sur une artiste ***

Marie Bagi vous présente,

 Flavie Greuet 

"Artiste"

                      Aujourd’hui je vous présente l’artiste Flavie Greuet que j’ai eu le plaisir de rencontrer au Café de Grancy à Lausanne. Dans son art, Flavie exprime la liberté de soi mais aussi la reconstruction de soi qui sont des constantes dans sa vie. L’art tient une place irremplaçable dans son être qui ne peut imaginer continuer sans lui. C’est une première nécessité que je ressens immédiatement chez elle. Rencontre.

D’origine parisienne, Flavie a étudié l’architecture d’intérieur et le design à Paris. A la fin de ses études, elle a travaillé à son compte pour créer petits meubles et assiettes. Elle voulait être designer. Elle a participé à quelques salons mais c’est un milieu difficile et elle m’avoue ne pas savoir se vendre. De plus, il y a un côté surfait qu’elle n’apprécie pas beaucoup.

Flavie me confie être hypersensible et qu’elle reçoit les émotions des autres. Elle a dû s’autoprotégé durant son enfance. A quarante-cinq ans, elle se redécouvre et, suite à un genou cassé, elle retourne enfin au dessin, sa première passion. Elle utilise la technique de respiration « rebirth » afin de canaliser ses émotions et essayer de dompter sa sensibilité. Dans son œuvre, il est question de corps. Ces derniers sont réalisés à partir de modèles vivants. Et, elle représente l’art japonais des cordes, le « Shibari » qui était utilisé à l’origine comme techniques de guerre puis qui fut adapté au théâtre japonais dans une version purement esthétique. Nous pouvons le voir dans ses œuvres à quel point la réalisation de ces cordes et de ces corps est poignante. Elle travaille également d’après ses propres photographies et choisit celles dont les émotions se dégagent le plus. Par exemple, elle va retranscrire les traces de cordes qui sont laissées sur le corps dessinés. Cela donne la sensation du vécu. Le public est parfois choqué, me dit-elle, et il faut toujours qu’elle explique. Les cordes signifient que nous nous libérons de nous-mêmes mais ce sont aussi la liberté de soi, tout simplement. Certains de ces corps sont en suspension, me montre-t-elle. Ainsi, continue-t-elle, les émotions procurées permettent de se transcender, la compréhension de son corps et surtout de son esprit. Nous avons besoin de nous libérer et nous devons le faire dans la pleine conscience. Elle a envie de transmettre cela aux femmes qui ont cette tendance à s’enfermer et subir. Or, il faut faire ses choix et ces derniers sont mis en exergue par les ramifications exécutées par le trait de la technique utilisée. C’est une déstructuration et un travail assidu sur les contours ; une autre manière d’explorer le dessin. Elle utilise principalement le fusain et le pastel. Elle renforce parfois les cordes avec de la couleur. 

L’art pour Flavie est thérapeutique mais c’est aussi de la communication non-verbale et du lâcher-prise ; ce dont elle a beaucoup besoin avec le travail alimentaire qu’elle fait en ce moment. Sa vocation lui vient sans aucun doute de sa grand-mère car elle était persuadée qu’elle possédait cette aspiration d’artiste et de « sorcière ». Elle lui disait déjà petite qu’elle était artiste et qu’elle devait poursuivre dans cette voie. Il y a des jours où elle n’arrivait pas à dessiner, me dit-elle, à cause du fait qu’elle doute de sa légitimité en tant que telle. Pourtant, l’art est entré dans sa vie comme une évidence par l’expression de son soi intérieur. Aujourd’hui à quarante-six ans, elle se sent enfin légitime. Cheffe de chantier durant vingt ans, elle se rend compte qu’elle a toujours créé même lorsqu’elle réalisait des prototypes qu’elle terminait avant les autres. Elle ajoute qu’elle aidait même les autres à terminer les leurs. Elle bricolait de manière assidue à la maison. Elle réalisait notamment des mobiles en papier, par exemple. Dans sa famille directe, elle a l’exemple de sa mère qui dessine et collectionne les œuvres d’art, et d’un oncle qui est maître verrier. En soi, elle a toujours baigné dans un environnement artistique. Pourtant, elle n’a pas toujours eu confiance en elle. Dans ses dessins, elle trouvait toujours quelque chose qui n’allait pas. Ceci la poussait vers une remise en question constante car elle souhaitait atteindre la perfection, du moins dans sa vision. Aujourd’hui, elle peut dire qu’elle y arrive parfois, un peu, me dit-elle en riant. Elle souhaiterait d’ailleurs ne faire que cela car au moment où elle crée, elle est dans bulle et, au gré de la musique qu’elle écoute, le geste se trace sur le papier. Son mari, à ses côtés, l’accompagne en peignant de petites figurines de personnages fantastiques dont il est grand admirateur. Leurs deux filles dessinent. Elle n’a encore jamais exposé mais en a offert une œuvre à l’une de ses amies d’enfance récemment et, en 2000, elle en avait aussi offert à une autre amie. Elle travaille par thème pour garder une certaine cohérence. Elle les numérote pour garder une certaine hiérarchie dans son travail mais aussi une compréhension du cheminement accompli jusque-là. Elle me parle du numéro dix-neuf qui est plus sombre et le regard intéressant car la corde est en couleur sur un fond très sombre. Elle se demande alors quel(s) impact(s) il va y avoir sur le public le jour où elle les expose. Elle a envie de transmettre le maximum sur son travail.

A onze ans, Flavie s’est donnée pour mission de protéger le secret de famille et s’est construite alors un mur afin de se protéger mais ce dernier s’est cassé et il a fallu qu’elle se retrouve et s’assume d’être elle-même. Et c’est rafraîchissant, me dit-elle, une vraie bouffée d’oxygène. Dans son être, elle se définit comme étant à la fois solide et fragile. Et, elle a la sensation qu’il y a toujours une reconstruction de soi qui est en jeu que seul l’art peut aider à surmonter. La maîtrise de son geste manifeste un talent certain de cette artiste qui, au gré de sa création, recherche un élan libérateur et salvateur.

 

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Autrice : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie

 

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Publié le 3 mars 2023

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