Marie Bagi vous présente,

Espace Artistes Femmes : Rose-Marie Berger ®
est une association et un espace artistique - itinérant et permanent - d’un nouveau genre qui veut mettre à l’honneur les femmes dans le monde de l'art. En raison de notre emplacement permanent et de notre focus sur les artistes femmes, nous sommes la seule association de ce type au monde, concept novateur, qui contribue à la visibilité des artistes femmes au niveau national et international grâce à à des conférences, des ateliers et des visites guidées réalisés au moyen de leurs oeuvres et dans lesquelles le concept de "l'intime" - c’est-à-dire, le lien existant entre leur vie et leurs œuvres et la manière dont la société peut les impacter - est central.
Il est dédié à Rose-Marie Berger (1922-2019)- plus connue pour avoir été l'épouse du grand historien de l'art, philosophe et ancien directeur-conservateur du Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, René Berger(1915-2009). Elle était une artiste de talent, comme beaucoup d'artistes femmes avant elle et aujourd'hui, dont le travail n'est, jusqu'alors, pas mis en lumière dans les musées ou encore dans les galeries.
"On ne devient pas artiste: on naît artiste." © Marie Bagi, présidente et fondatrice
*** Lumière sur une artiste ***
"Artiste plasticienne"
Aujourd’hui je vous présente l’artiste Françoise Jaquet que j’ai eu le plaisir de rencontrer au Café de Grancy à Lausanne. Dès les premiers instants, elle se confie sur la difficulté de trouver des lieux d’exposition et se dit qu’il s’agit probablement de son âge. Pour un.e artiste, l’art est une vocation et la retraite ne peut exister alors pourquoi existent-ils encore des lieux qui refusent les artistes en raison de leur âge ? C’est une particularité, me dit-elle, à laquelle elle semble faire face. Alors que, sans son être artiste, elle ne se sent plus exister. Rencontre.
D’origine suisse, Françoise se rétablit en Suisse – à Ballaigues où elle a racheté une église libre où elle y a son atelier et sa maison – en 1994 avec son compagnon sculpteur d’origine finlandaise, Veikko Hirvimäki.Du plus loin qu’elle se souvienne, elle a toujours peint. Elle a récemment retrouvé un tableau exécuté lorsqu’elle avait quatorze ans. C’est une œuvre à l’huile, me raconte-t-elle. Elle sentait déjà, à cette période-là, cette pulsion créative, comme elle le dit si bien. Pourtant, elle n’a pas pu se diriger dans la voie des arts pour ses études. En effet, elle réalise une maîtrise de littérature française à l’université du Wisconsin, aux Etats-Unis. Puis, mariée, elle part faire des études d’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre. Mais elle renonce à faire de la muséographie. Elle commence ensuite un « DEUG » en droit à ASSAS afin de devenir commissaire-priseur mais elle ne le terminE pas ( à cause des grèves). C’est (aussi) à ce moment précis qu’elle réalise qu’elle souhaite uniquement être créatrice et non pas parler de la création des autres. Elle s’inscrit à la SPSAS en 1984 - maintenant Visarte, Paris- et participe la même année au Salon des Artistes Français et y présente une sculpture abstraite en bronze, réalisée à partir de la terre.
Elle entreprend de travailler la sculpture avec la pierre et, plus spécifiquement, le marbre dans son atelier à Paris dans le 14ème. Elle continue, par la suite, d’exposer au gala des artistes français, au Grand Palais : Salon de Mai, Grands et Jeunes d’Aujourd’hui, Réalités Nouvelles, U.F.P.S.(Union des Femmes Peintres et Sculpteurs).
La source de son œuvre ? C’est elle-même, me dit-elle. Elle possède un réel intérêt pour la transparence et ce qui est solide ne l’intéresse plus. En 1990, elle a travaillé avec des cages et des palettes de construction qui sont les parfaits supports de ce qu’elle veut montrer. Dans la rue, il a le reflet de la lumière, continue-t-elle, et la transparence se joue dans la complexité des espaces intérieurs de la palette et du monde qu’ils renvoient. Mais cette transparence, ajoute-t-elle, c’est celle de soi. L’utilisation du miroir est aussi un élément important dans ce cas de figure puisqu’il reflète à la fois sa propre image, l’intérieur et l’extérieur notamment. Elle continue en me parlant de structures en bois qu’elle a réalisées avec des miroirs à un angle de quarante-cinq degrés. Ce sont comme des « pièges » qui éveillent la transparence et permettent de voir, en un seul regard, ce qui ne peut être vu sans manipulation.
Après les illusions de ces pièges visuels, elle a laissé de côté les miroirs. Elle se dirige vers un art plus abstrait, plus abstrait, plus proche de la nature, et continue avec des pièges structurels en branchage notamment avec son œuvre « Parfum de fleurs » qui est l’une des pièces importantes de sa production de cette période : représenter concrètement une abstraction. Après les structures en branchages, elle se dirige vers un travail réalisé au crochet avec des herbes aquatiques : un travail minutieux. Elle se rend alors compte qu’elle s’enferme de plus en plus dans la fragilité. C’est aussi une période de sa vie qui est un peu instable. Rien n’est solide, tout est éphémère. S’ajoutant à cela, les cicatrices que portent les arbres ainsi que leurs résistances au temps, même une fois que tout est mort. Elle réalise une grande installation qui fait échos à l’enterrement de branches. Elle garde cependant sa ligne, me dit-elle, tout est dans la transformation, la transparence, les ombres et la légèreté. Elle me dit que tout le monde pense qu’elle fait, à chaque fois, quelque chose de différent. Or, elle garde cette ligne de la transformation constante.
Avec ses œuvres « Couronnes », Françoise nous emmène dans un univers où les racines et les algues aquatiques s’entremêlent. Elle joue avec la matière afin de présenter la majesté de la
matière et du rendu. Pourquoi les couronnes ?
Les couronnes sont une ode à la nature, ses cycles et l’espoir de renouveau, le passage de la cosse vide dont sont faites les couronnes sous-entend que la graine absente va germer ailleurs. L’envie d’inclure la nature dans son travail lui provient de l’enfance dans laquelle elle faisait de longues promenades avec son père mais aussi de ses lectures et, notamment, le structuralisme d’Alain Robbe-Grillet (1922-2008). Car, me dit-elle, elle recherche toujours la structure du vivant. Il y a toujours des similitudes en tout dans la nature.
Depuis 2020, elle travaille sur « le langage des petites bêtes invisibles », traces laissées dans le bois par des insectes xylophages et reproduites par des dessins à la plumes. En 2021, à Taïwan, elle expose en collectif à la Biennale internationale du papier où elle réalise, sur une caisse en carton, une demi sphère avec de petits personnages en herbe, qui courent sur la périphérie et, sur les bords de l’écorce, des champignons, de la mousse et du lichen. A cause de cela, l’œuvre était habitée, rit-elle, il a fallu la traiter et la mettre sous cloche. C’était une belle expérience, ajoute-t-elle. En préparation, une série sur « les cicatrices » des arbres et une autre série « les Résistances » ossature des arbres qui meurent en dernier.
Françoise compte quarante-et-un ans de pratique. Elle sait que le matériel qu’elle utilise peut disparaître car ce sont régulièrement des matériaux éphémères qu’elle utilise. Et, elle se questionne ainsi, sa vie n’aura-t-elle servi à rien ? Si tout disparaît, quelles traces va-t-elle laisser de sa vie, de son œuvre ? Heureusement, il y a une vingtaine de carnets de notes et de dessins, me dit-elle.
Il faut trouver des collectionneurs qui participeront à sa renommée et à faire échos à son nom qui, je l’espère, pourra être sur les lèvres du public prochainement. Le travail de Françoise est empreint d’une sensibilité au monde qui nous touche lorsque nous en prenons connaissance. Un talent inné qui continue dans sa magnifique lancée sur la nature et tout ce qui s’y rapporte.
Autrice : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie
Publié le 13 mars 2023