top of page

*** Lumière sur une artiste ***

Marie Bagi vous présente,

 Raffaella Bruzzi 

"Peintresse"

           Aujourd’hui je vous présente l’artiste Raffaella Bruzzi que j’ai eu le plaisir de rencontrer au Romantica à Lausanne et qui s’est confiée avec douceur sur la manière dont l’art est entré dans sa vie comme une évidence à laquelle elle ne s’y attendait pas. Rencontre.

Née à Milan, Raffaella commence son parcours avec des études classiques au gymnase. Puis, éprise des mathématiques et de la physique, elle se dirige vers un parcours scientifique avec des études d’ingénieur à l’École Polytechnique de Milan.  C’est à ce moment-là qu’elle réalise un échange avec l’EPFL – École Polytechnique Fédérale de Lausanne. Par la suite, elle fait son doctorat à la Faculté de Biologie et Médecine et travaille aujourd’hui à la BCV – Banque Cantonale Vaudoise. Lors de son échange à l’EPFL, elle rencontre son mari avec lequel elle a eu trois enfants. C’est lorsque son aîné fête ses un an qu’elle a une révélation et commence à peindre. Elle est envahie par une pulsion qui la conduit à acheter une toile et de la peinture acrylique. C’est ainsi que la joie de peindre est venue à elle mais elle ne pouvait se dédier à sa nouvelle passion que les soirs et les nuits, initialement, me dit-elle.

Depuis 2017, après une réduction de son taux de travail, elle possède deux journées entières où elle peut s’adonner à sa passion. La faculté de créer, elle en est consciente depuis l’enfance sauf que, me dit-elle, elle a été enfouie dans sa mémoire. En effet, elle me raconte que, lorsqu’elle était petite, elle créait des liquides et des potions magiques en y ajoutant des mines de crayons pour en faire de la poudre, notamment. Dans sa famille, il y a des artistes mais qui n’en ont jamais fait leur métier premier tels que son père ou encore son grand père.

La peinture est donc une réelle découverte pour Raffaella qui s’est alors donné la possibilité de suivre quelques ateliers afin d’en apprendre les techniques spécifiques. Elle évoque ici l'encre de chine, le marouflage ou encore la possibilité de crée par soi-même ses propres couleurs à partir des pigments naturels et l’utilisation du jaune d'œuf, comme liant naturel. Son travail, continue-t-elle, elle l’exécute par couche. La première est généralement celle à l’acyclique. Puis, elle ajoute la peinture à l’huile car elle obtient des effets singuliers sur la toile. En effet, elle fait ressortir les richesses et la luminosité des couleurs. S’ajoutant à cela, des pigments naturels ou encore des encres, parfois. Elle aborde, en général, deux thématiques : celle du paysage abstrait en diverses couches et celle de la matière qu’elle représente au moyen de techniques mixtes tels que le gesso, la résine, le sable, le goudron, le tissu ou encore le papier. Lorsqu’elle travaille la matière, elle regroupe les divers matériaux, par étapes, sur le support, bien souvent la toile. Ils sont susceptibles d’être parfois enlevés pour être conservés dans des boîtes et recyclés afin de les utiliser ailleurs. Elle garde toujours les morceaux restants d'un processus pour les utiliser dans ses futures créations, ajoute-t-elle. Cecu crée des liens entre ses œuvres, parfois visibles, mais parfois cachés.

Voir la matière qui se transforme, la spontanéité du geste, l’expérimentation sur la toile et la matière qui prend forme font parties de ses motivations premières. Elle sent qu’elle travaille par phase. Elle me raconte qu’il y a eu la « phase bleue » où le sujet représenté était souvent la mer, souvenirs de voyage qu’elle emporte avec elle et qu’elle transforme grâce à la luminosité qu’elle y insuffle. De son travail artistique, elle en rêve la nuit. Il lui apporte la paix et la sérénité. Là où la parole peine à exprimer son monde intérieur émotionnel, c’est travailler la couleur qui va le lui permettre et ce, en toute liberté. D’ailleurs, je ressens la difficulté de cet exercice pour elle et tente de l’aider dans son explication qui semble lui coûter. C’est toujours extrêmement compliqué de s’exprimer sur son travail pour une artiste car celui-ci sort des tripes. C’est pourquoi, en ressentant sa détresse, j’oriente mes questions de façon qu’elle puisse être à l’aise. Touchée par sa sensibilité, je dirige la conversation afin d’en savoir un peu plus sa pratique et ses motivations. Elle en vient à me raconter qu’elle pratique beaucoup de méditation, qu’elle ressent le besoin de s’isoler et de faire le vide. Hypnotisée par la toile, bien souvent, elle ressent un élan qui la pousse vers un mouvement de liberté. Elle décide comment faire et cela rend ses moments avec ses toiles, uniques.

Commençant à s’ouvrir davantage, Raffaella me raconte que cela vient aussi du fait qu'elle a dû faire face, dans sa vie, à un évènement particulièrement difficile et douloureux. Une phase de remise en question lui a fait ressentir un besoin de changer son angle de perception. Ses moments picturaux sont ceux qui lui ont permis d’avancer et de gérer ses émotions face à cette situation. C’est ce qui lui fait me dire que le besoin de peindre est relié un sentiment profond de joie intérieure. Elle continue en ajoutant que c’est dur, à la longue, à cause de la pression sociale et que cela lui impose souvent une remise en question. En peignant, elle peut enfin montrer ce qu’elle ressent telle une mise à nu. C’est l’émotion première qui prend le pas et se laisse guider par la toile. Elle se rend compte qu’elle a besoin de structure cela lui vient sans doute de son travail à la banque car sinon elle pourrait bien se retrouver dans une caverne avec ses toiles, me dit-elle en riant, et oublier le monde qui l’entoure. Elle reste tout de même encrée dans son monde malgré cette structure qu’elle doit malheureusement rechercher. En soi, l’art de Raffaella recèle beaucoup de contrastes puisqu’elle est à la recherche d’ordre mais aussi de désordre et cela se ressent dans ses toiles. Elle va même jusqu’à dire qu’elle y recherche la liberté dans la désorganisation, en riant.

Elle n’a pas fait les Beaux-Arts car, adolescente, elle était éprise des sciences. Adulte, elle ne veut pas suivre des cours réguliers car elle ne veut pas être privée de la liberté qu’elle possède dans sa pratique. Son mari la pousse chaque jour et l’encourage à continuer dans cette voie qui semble être la sienne car, enfin, elle arrive à s’exprimer. Sa sensibilité profonde, comme elle le dit si bien, lui permet d’exprimer ses instincts en peinture et ainsi, faire fi de la reproduction ou encore du sens esthétique. Elle va au-delà. Elle aime l’utilisation de nouveaux matériaux comme ceux énoncé plus haut, et même ramasser des éléments au sol, en forêt ou à la plage. La texture est alors centrale dans le résultat de son œuvre mais aussi dans son processus.  

Raffaella ressent souvent le besoin de terminer ce qu’elle a commencé et ce processus par des phases de perpétuelle évolution. En effet, parfois il y a des évidences dont elle ne peut pas nier mais parfois, elle revient sur certains détails. Elle appelle cela « sa petite touche particulière ». Comme cité plus haut, elle travaille par couche et chaque couche possède son sens. Le relief que nous décelons sur la toile est la trace de ce qui a été et désigne le point de départ dont elle n’a peut-être pas été convaincue. Elle a parfois un sujet dans la tête mais ne s’y limite pas elle met un point d’honneur à laisser sa création, libre. Elle se sent alors apaisée lorsqu’elle est arrivée au but. Expérimenter et découvrir un résultat par la tentative fait partie intégrante de son processus. Elle s’arrête un instant de parler, puis ajoute que le besoin d’être reconnue pour son travail est d’autant plus fort lorsque l’artiste est autodidacte. Sa première exposition était à Mézière dans la galerie Jaykay, une grande occasion qui s’est présentée lorsqu’elle était au terme de sa troisième grossesse. Elle a exposé avec trois autres artistes femmes. Elle avait hésité car elle ne pensait pas être prête mais, poussée par ses amis et sa famille, elle a tenté l’aventure qu’elle a, depuis, réitéré l’expérience. Actuellement elle a une exposition au centre-ville de Genève qui a débuté le 22 septembre dernier. Le défi, elle me dit, c’est toujours les autres qui peuvent juger son travail mais cela touche les artistes, en général.

Toujours plus confiante dans ses propos, elle me parle à nouveau du choix de la couleur dans ses œuvres et qui correspond à une période vécue, à des émotions. Plus en détail, elle me dit qu’elle n’a jamais autant peint en noir et rouge que lorsqu’un de ses enfants à l’âge de huit ans a subi un grave accident qui l'a conduit plusieurs jours aux soins intensifs. Cet événement a créé des émotions diverses chez elle dont elle sait que la couleur faisait référence à son état émotionnel – elle broyait du noir.

Cela n'est pas évident d’accepter son être artiste lorsque les doutes s’installent mais Raffaella prend peu à peu ses aises dans le monde de l’art qui saura accueillir sa vocation indéniable. Son talent se révèle dans la toile, au mouvement de son pinceau ; parfois accompagné de techniques mixtes qui en agrémentent alors la force se « métamorphosant » au gré de ce qu’elle souhaite exprimer.

 

​

Autrice : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie

 

​

Publié le 21 janvier 2023

​

​

bottom of page